lundi 18 décembre 2017

SHARDIK - s/t

Encore un nouveau groupe sur la série Spotlight, une des dernière encore en activité avec la Spectrum. Il est vrai que des nouveaux groupes de jeunes, ce n'est pas ce qui manque quand on cherche bien. Matt Hollenberg (que l'on retrouve assez souvent dans le giron de John Zorn ces derniers temps) avait mis plus d'une année pour composer les huit titres complexes de ce nouveau projet. Originairement basé à Philadelphia, il a ensuite demandé à deux de ses vieux potes musiciens de bouger à Brooklyn pour monter ce nouveau groupe intitulé Shardik, et qui pour le coup colle parfaitement avec le nom du label. On a affaire ici à un power trio dans sa forme la plus pure, à savoir batterie, guitare et basse. Et pourtant, à l'écoute, pas besoin d'être plus nombreux pour pouvoir livrer de la musique vraiment inspiré. Pour le coup, on est dans le trip math-rock à fond les ballons. Titres instrumentaux hyper complexes qui flirte avec des touches jazz, world, ambiant et métal. La virtuosité des musiciens est impressionnante, la structure des morceaux est finement pensé, la production demeure excellente, et il y a toujours un moment qui nous interpelle car vraiment surprenant. Shardik démarre donc vraiment fort sa jeune carrière, et on a vraiment hâte d'entendre une éventuelle suite de ce disque dont l'artwork est d'ailleurs signé Toby Driver (Kayo dot...)

JOHN ZORN - The last judgment

J'avais extrapolé à l'époque que "The crucible" serait la dernière pièce du puzzle Moonchild (et je m'étais planté royalement), mais cette fois çi, c'est son créateur lui même (ainsi que la fameuse tranche Tzadik) qui annonce "The last judgment" (titre parfait du coup) comme le dernier chapitre d'une aventure qui avait démarré 10 ans auparavant. Magnifique gatefold avec fourreau remplis d'illustration d'époque des templiers, une nouvelle fois la thématique (comme "templars") présente, je vous conseille d'ailleurs la lecture de l'histoire des templiers ainsi que la biographie de Jacques de Molay sur la toile, l'histoire de France est toujours improbable et vraiment intéressante. Zorn est apparemment fasciné par cette période de l'histoire, comme en atteste son anneau d'initiation des templiers qu'il possède et pris en photo sur le disque, qu'il a du chopper dans un vide grenier de Gisors. Musicalement, le disque ressemble fortement au précédent, ce qui demeure un poil dommage, on aurait peut être préféré un final original et éclatant. Or on a affaire ici à un bon disque de Moonchild, sans plus. Section rythmique impeccable, Medeski omniprésent avec son orgue qui renvoi directement au coté médiéval, et Patton qui chante un peu plus que ce qu'il hurle, parfois en latin ou en anglais. Un chapitre final qui a le mérite de faire voyager vers 1307. Le bilan de l'aventure Moonchild est globalement très bon, j'ai pris beaucoup de plaisir à entendre les facéties vocales de Patton (parce que j'aime beaucoup l'homme en question), la virtuosité de Baron et Dunn était aussi un vrai tour de force musical. Les quelques variations qui ont suivie ont été intéressantes et ont sans doute éviter la répétition. Mon volume préféré reste surement "Six litanies for Héliogabalus", pour la variété d'atmosphères incroyable présent (des chœurs religieux aux hurlements de Patton en passant par le retour de Zorn dans une formation extrême), mais je pense que chacun aura son avis sur la question...

dimanche 15 octobre 2017

JOHN ZORN - Transmigration of the magus

La bibliothèque de Nag Hammadi est un ensemble de treize codex de papyrus reliés en cuir, du milieu du IVe siècle. Retrouvés en 1945 dans la ville de Nag Hammadi au nord-ouest de Louxor par des paysans égyptiens, ils sont désormais conservés au musée copte du Caire. Ces codex (les plus anciens connus), contiennent une cinquantaine de traités en copte, traductions de textes écrits initialement en grec ancien. Ils datent vraisemblablement du IIe siècle au IIIe siècle. La majorité sont des écrits dits gnostiques, mais on trouve également trois textes de la tradition hermétique, dans la lignée du Corpus Hermeticum, et une traduction partielle de La République de Platon. La plupart de ces textes n'étaient pas connus par ailleurs, ou seulement de façon fragmentaire. Petit résumé de l'inspiration principale de John Zorn pour ce chapitre, ainsi que la commémoration du premier anniversaire de la mort de Lou Reed, dont le disque est une nouvelle fois dédié. "Transmigration of the magus" avait d'ailleurs été composé et enregistré en mars 2014 pour aider Zorn à surmonter l'épreuve du décès de son ami. On retrouve donc le gnostic trio avec Bill Frisell à la guitare, Carol Emmanuel à la harpe et Kenny Wollesen au vibraphone, accompagné en supplément de John Mesdeski à l'orgue, de Bridget Kibbey à la seconde harpe, et de Al Lipowski aux percussions et autres cloches. L'ensemble sonne très lyrique et mélodique, comme on peut s'en douter. On demeure toujours dans de l'easy-listening spirituel, avec parfois un petit coté sombre. Les 9 titres de cet opus sont en tous cas excellent, John Zorn y développe de manière encore plus poussée sa vision du gnostic trio, et c'est une belle réussite...

DAVID CHAIM SMITH / BILL LASWELL / JOHN ZORN - The dream membrane

La toute dernière série Spectrum de Tzadik demeure un petit peu fourre tout : On pensait qu'on allait y retrouver des associations exceptionnelles de musiciens, des disques majeures de la scène expérimentale, et on se retrouve dans une catégorie qui a juste l'air de faire la continuité de la Composer serie sur certaines signatures, voire de la Key serie, ces deux dernières catégories de Tzadik ne jouissant plus de tout de nouveaux chapitres, juste quelques rééditions franchement inutile. Seconde apparition du maître Zorn sur sa Spectrum serie, avec une association à priori plus innovante et captivante que la précédente (avec Lewis et Leo-Smith). Le boss de Tzadik nous dévoile un jeu de saxophone feutrée et subtil, hyper inspiré, avec aussi la présence de Shofar (instrument à corne juif ancestral). Derrière lui, avec son jeu de basse thermo-nucléaire et son habileté à faire résonner des vibrations drone bien grave et sombre, Bill Laswell bien sur, qui tient méchamment la baraque de ce disque. Pour compléter, David Chaim Smith est un artiste issus de l'underground new yorkais, dont les principaux faits d'arme viennent de l'écriture sur la Kabbale et le mysticisme, ainsi que du dessin illustrant ces textes, dont vous pouvez avoir un exemple via la pochette du disque. Touchant donc au mysticisme via les textes et au dark ambiant via la musique, l'association est absolument parfaite et cohérente, et ce chapitre Tzadik demeure une perle noire vraiment sympathique à découvrir...

dimanche 27 août 2017

JOHN ZORN - Valentine's day

Beau digipack sortis en 2014, avec toujours des peintures de John Zorn en couverture, on commence mine de rien à reconnaitre sa "patte" en matière d'œuvre visuelle, même si en l'occurrence on ne voit pas trop le rapport avec le titre du disque. Titre qui possède d'ailleurs un sous titre "John Zorn's enigmata trios" qui renseigne immédiatement sur le contenu qui reste à suivre : cet opus est la suite de l'improbable "Enigmata", disque complètement hermétique (et franchement imbuvable) du duo Ribot/Dunn sortis en 2010. On retrouve donc toujours Marc Ribot à la guitare (vraiment le master of dissonance quand il le souhaite), Trevor Dunn à la basse (il ne cesse de s'améliorer avec le temps, vraiment un super musicien) et surprise, Tyshawn Sorey à la batterie (Dont le cv parle pour lui, de Steve Coleman à Anthony Braxton, en passant par une partie de la downtown scene). Et on découvre donc une autre vision de ce free rock sauvage que Zorn avait essayé de nous imposer la première fois, beaucoup plus intéressante. Toujours basé sur une grosse base improvisée, les titres respirent mieux, la batterie apporte une dynamique convaincante, la dissonance se fait plus maitrisé et moins gratuite, on perçoit même quelques passages mélodiques (enigme 8) qui aère l'ensemble et qui donne plus d'impact aux moments de folie certes nombreux dans le disque. Sorey est tout simplement hallucinant : roulements de malade, blast beat furieux, breaks jazz ou free jazz, déferlement avec une puissance aussi imposante que la carrure du gaillard. On se rapproche donc sans problème d'un Asmodeus pour ce coté rock à fond et le son de guitare de ribot, ou d'un Moonchild avec la basse claquante de Dunn (ou Ribot avait lui même fait des apparitions). En tous cas, une plus belle réussite que le "Enigmata" d'origine, "Valentine's day" demeure une œuvre aussi complexe qu'insaisissable, qui doit vraiment valoir le coup en live par ailleurs...

lundi 14 août 2017

JOHN ZORN - On leaves of grass

"Leaves of grass" est un recueil de poèmes de Walt Whitman, notamment connus pour son apologie de la sensualité. Zorn se sert toujours de ses références culturelles comme inspiration pour garnir et compléter son œuvre tentaculaire avec le temps. "On leaves of grass" avec son superbe digipack ne fait pas figure d'exception, une illustration de Walt Whitman jeune faisant son apparition. On découvre neuf nouvelles compositions interprétés par le Nova express quartet, soit pour rappel John Medeski au piano, Joey Baron à la batterie, Kenny Wollesen au vibraphone et Trevor Dunn à la basse, quatre musiciens archi connus dans le cercle Zornien mais qui ont le mérite d'être vraiment des tueurs lorsqu'ils jouent ensemble (avec un featuring de Ikue Mori sur un titre). On a tendance à l'oublier tellement leurs apparitions sont fréquentes et le processus récurrent, mais les quatre musiciens accompagnés de John Zorn (qui est apparemment présent en studio sur tous les disques qu'ils enregistrent et ceux sans jouer, juste pour superviser la plupart du temps) et Marc Ursulli (L'ingé-son attitré de ces dernières années) enregistrent en un ou deux jours maximum, mix compris. Une performance énorme à l'écoute de la richesse de ces compositions de jazz moderne et complexe, alliant improvisation, minimalisme et une certaine vision lyrique pour représenter la vision de Whitman, dont la quintessence demeure surement sur le dernier titre du disque de quinze minutes et qui se nomment "America"...

dimanche 2 juillet 2017

ROBERT DICK - Our cells know

Nouveau venue dans l'écurie Tzadik, Robert Dick est un compositeur reconnus, notamment dans le développement de la flûte, son instrument de prédilection. En avril 2014, Robert participe à un concert mémorial au Stone en l'hommage de Stéphanie Stone, figure récurrente de la downtown scene, ou son maris Irving avait également eu le droit aussi à son concert mémorial quelques années auparavant et que l'on retrouve sur disque dans la section Key serie. Le compositeur en profite pour réaliser une improvisation à la flûte contrebasse. John Zorn le branchera peu après pour sortir un disque complet dans cet esprit, Robert Dick imaginait utiliser différentes variétés de flûtes mais Zorn le persuade de se concentrer uniquement sur la flûte contrebasse. D'où par la suite l'exploration totale de l'univers de cet instrument peu banal et assez encombrant. 6 improvisations plus tard, voici "Our cells know" qui pointent le bout de son nez sur la serie Spectrum et c'est une plaisante découverte que de découvrir l'univers du flûtiste. John Zorn a encore eu le nez fin et c'est avec plaisir qu'on découvre cet opus à son initiative, lui qui développe un peu moins de sorties sur son label ces dernières années...

mercredi 28 juin 2017

PHANTOM ORCHARD ENSEMBLE - Through the looking-glass

Après une première apparition en duo, et la création d'un orchestre sur deux disques de la série Oracles dont je vous reparlerais prochainement, Phantom Orchard se mue en 2014 en un "ensemble" de musiciennes sur la serie Spectrum (le seule qui soit encore active de nos jours niveau sortie). Le duo originel toujours bien présents (Ikue Mori au laptop et Zeena Parkins à la harpe), on remarque peu de changement par rapport à l'orchestre (Maja Solveig Ratjke toujours présent à l'électro déglingué, les cousines Parkins toujours présentes), ce sont juste interchangé une percussionniste qui a été remplacé par Sylvie Courvoisier au piano, soit un remplacement de grand luxe, puisque cette dernière est une des pianistes les plus reconnue au sein de la Downtown scene. 12 titres assez incroyables, qui oscille entre l'ambiant mélodique quasi céleste (la harpe de Parkins n'est pas pour rien) jusqu'au Dark ambiant le plus glauque (l'association laptop/electronique n'y est pas innocent non plus). L'ensemble reste sinon de l'expérimental de qualité, intégralement féminin de surcroit, et on sent que John Zorn soutient à 100 % le projet, même dans ces mutations les plus folles, la pochette du disque en dit long d'ailleurs sur l'état d'esprit global...

mardi 2 mai 2017

JOHN ZORN - The testament of Solomon

Le rappel de Bill Frisell avait été particulièrement une bonne idée de la part de John Zorn : son ancien guitariste de Naked city, associé avec son ancienne compagnon de route Carol Emanuel à la harpe et Kenny Wollesen (lui, récurrent dans le cercle zornien pour le coup) au vibraphone, avaient donné naissance à un superbe premier disque d'easy listening spirituel. Ce que l'on savait moins à l'époque, c'est que les trois musiciens allait devenir l'un des multiples groupes de Zorn (intitulé "The gnostic trio") et que plusieurs chapitres allaient donc voir le jour (en revanche, aucun live ne semble avoir été programmé à ma connaissance). Avec son sous titre explicite, on peut être certains que les titres présents sur ce disque devaient s'associer avec la pièce vocale "Shir Hashirim" mais la mise en œuvre live de ce projet n'aura jamais aboutis. Mais rien ne se perd chez John Zorn, alors il a de nouveau convoqué le trio pour enregistrer 11 nouveaux titres qui tirent effectivement vers le lyrisme du Book of angels, avec pour principale influence le testament de Salomon, dont je vous laisse vous référer, et qui permettent de déceler de petites influences juives sur certaines mélodies. Alors évidemment, on pourra toujours sortir la rengaine que Zorn tourne un peu en rond, que tous les disques du Gnostic trio se ressemble, que l'inspiration semble de tarir un petit peu. Certes des critiques légitimes, mais on oubliera dans ce cas la un point essentiel : ce disque est BEAU. Fondamentalement d'une beauté intrinsèque. A son écoute, vous regardez un paysage, et pleins de choses vous passent par la tête, des émotions vous parcourent. Et ce n'est pas donné à tous le monde de pouvoir créer cette sensation musicale. La performance des musiciens est de nouveau exceptionnelle, et elle permet d'inscrire à Zorn un superbe chapitre à son œuvre...

samedi 15 avril 2017

GEORGE LEWIS / WADADA LEO SMITH / JOHN ZORN - Sonic rivers

La toute dernière série Spectrum de Tzadik demeure un petit peu fourre tout : On pensait qu'on allait y retrouver des associations exceptionnelles de musiciens, des disques majeures de la scène expérimentale, et on se retrouve dans une catégorie qui a juste l'air de faire la continuité de la Composer serie sur certaines signatures, voire de la Key serie, ces deux dernières catégories de Tzadik ne jouissant plus de tout de nouveaux chapitres, juste quelques rééditions franchement inutile. Mais pour le démarrage de la série Spectrum, Tzadik nous sortait une collaboration aussi marquante qu'improbable de trois compositeurs que les fervents du label connaissent bien : George Lewis, professeur de renom et auteur de plusieurs opus sur la composer, Wadada Leo Smith, compositeur de renom et auteur d'une bonne poignée de disques sur Tzadik (Composer et key serie essentiellement) et John Zorn que je ne vous ferais pas l'affront de présenter. L'association Trombone, Trompette et Saxophone Alto demeure assez folle, on dirait vraiment une discussion impromptus de cuivres au jazz-bar du coin de la rue. On imagine les trois amis s'amuser comme des fous durant la journée d'enregistrement, le résultat sonnant comme de l'improvisation à la technique hallucinante, mais à l'émotion assez contenu. Mais ce disque ne demeure que du fun à priori, et ouvrait avec brio la Spectrum serie, l'ensemble couronnée par un artwork assez lunaire de Leo Smith...

dimanche 9 avril 2017

JOHN ZORN - Myth and mythopoeia

Suite des péripéties de John Zorn qui s'attelle à la musique de chambre contemporaine ; je pense d'ailleurs qu'à terme, il composera beaucoup plus dans ce style, c'est dans cet univers qu'il s'éclate le plus apparemment (Oubliez donc les délires à la Naked city et autre Painkiller). Sur un artwork de Gustave Klimt, "Myth and Mythopeia" (quel titre !) se décline donc en plusieurs parties avec différents musiciens à l'œuvre. "Pandora's box" ouvre le disque avec un string quartet classique sur lequel s'exprime une cantatrice (Sarah Maria Sun) qui œuvre en allemand, et qui a la particularité de parfois hurler comme une démente ce qui apporte une vrai innovation pour le coup. 13 minutes complexes qui raconte une histoire, toutes les inspirations des morceaux sont mentionnés dans le livret que je vous laisse le soin de consulter, l'ensemble est assez complexe et fastidieux pour le coup. "Missa sine voces", seconde pièce de 13 minutes a été enregistré au Miller theater lors des concerts évènements pour le 60 ans du maitre New yorkais : ayant pour principale influence Webern, un ensemble de cinq musiciens (piano, harpe, percussion, vibraphone et carillon !) et d'un conducteur donne naissance à une superbe instrumentation à la sonorité également innovante dans l'univers Zornien avec la présence de ce carillon. Une atmosphère mystérieuse se dégage, tantôt apaisante, tantôt inquiètante, une vrai réussite. Les 3 dernières pièces sont du Zorn archi classique : violon solo sur l'une, duo violon-violoncelle sur l'autre, et trio violon-violoncelle-piano pour la troisième avec toujours Stephen Gossling entre autres. Hyper technique, pas forcément mauvaises, ces morceaux ont cependant le défaut de ne pas du tout surprendre l'audience de Zorn qui est habitué à ces performances. Une pierre de plus à l'immense œuvre de Zorn, recommandez pour les fervents de contemporain...

dimanche 26 mars 2017

JOHN ZORN - In the hall of mirrors

John Zorn nous rappelle dans le livret que l'ensemble Piano / Basse / Batterie est l'un de ses préféré dans le jazz, en citant de nombreuses références, courant de Bud Powell à Bill Evans, en passant de Chick Corea à Duke Ellington. Le concept du disque est simple : une partie de piano déterminé autour de solides partitions, ou gravite autour une section rythmique qui improvise. Plusieurs compositions avec une batterie improvisée avaient déjà été composé par le passé, mais le principe de créer un set complet pour un trio qui pourrait jouer dans des festivals de jazz européens ou dans des clubs continuait de titiller le compositeur new yorkais. C'est ainsi que sont nait les compositions de ce "In the hall of mirrors", un digisleeve à l'artwork bien psychédélique l'accompagnant. Le disque a été composé avec à l'esprit Stephen Gossling au piano, un "maniaque" selon Zorn (on imagine le pire quand on connait Zorn lui même) et l'un des meilleurs pianistes au monde. Accompagné du fidèle Greg Cohen (Masada) et l'un des meilleurs improvisateurs à la basse, on assiste aussi à la première incursion de Tyshawn Sorey à la batterie en disque studio, un jeune black d'une trentaine d'année avec un niveau monstrueux, certainement un futur ténor de la batterie pour le monde du jazz à en devenir. Le résultat nous donne six superbes compositions de Jazz, par moment posé, et dans des ambiances beaucoup plus sauvages et improvisées. L'enregistrement ne durera qu'une journée, une récurrente chez les musiciens Zorniens, mais qui étonne toujours, prouvant leurs incroyables niveau technique, dextérité et dévouement à sublimer les compositions de Zorn. Durant le session de mixage, Cohen déclarera "il s'agit du jazz du futur"...

JOHN ZORN - Fragmentations, prayers and interjections

Ponctué par un artwork signé par John Zorn lui même (il nous avait déjà sortis exactement la même thématique sur un disque de la composer serie), "Fragmentations, Prayers And Interjections" présente le second volet des nombreux disques, qui devraient paraitre au cours de l'année, retraçant le marathon scénique et artistique que s'est offert John Zorn en septembre 2013 pour son soixantième anniversaire, et comme il l'avait déjà effectué dix ans plus tôt pour fêter ses cinq décennies. Après son récital donné à l'orgue un peu plus tôt, ce nouveau disque issu d'un concert enregistré le 25 septembre 2013 au Miller Theatre de New-York, soit deux jours après celui à l'orgue à la St Paul's Chapel, se démarque de son prédécesseur par le type de formation proposée : un orchestre philharmonique. Depuis Aporias: Requia for Piano & Orchestra et sa pochette Francisbaconienne en 1998 et What Thou Wilt en 1999-2010 (on y reviendra), Zorn s'était en effet limité en matière de mouture classique à des ensembles plus réduits, à l'image du quatuor à cordes constitué de Jennifer Choi et Fred Sherry sur Magick (2005). En somme, une longue attente pour une surprise de taille.
L'album réunit ainsi quatre compositions jouées par l'Arcana Orchestra sous la direction de David Fulmer. La première, Orchestra Variations, fut commandée en 1996 par l'orchestre philharmonique de New York, tandis que celle qui clôt le disque, Suppôts et Suppliciations, le fut par l'orchestre symphonique de la BBC en 2012. Du premier thème avant-gardiste, si l'auditeur averti pourra difficilement négliger les insertions burlesques Texaveryiennes, ces variations lui évoqueront également un autre hommage, grindcore cette fois-ci, mené par deux musiciens justement proche du saxophoniste alto : le chanteur Mike Patton et le bassiste Trevor Dunn et le Suspended Animation (2005) de Fantômas.
A propos des deux autres thèmes suivant, le Zornologue sera en terrain connu. Contes de fées ouvrait déjà What Thou Wilt enregistré en 1999, mais paru seulement onze années plus tard. De même, Kol Nidre eut droit à plusieurs versions antérieures, une sur String Quartet et deux sur le double album Cartoon S&M entre 1999 et 2000. En guise de transition, l'ironique Contes de fées, porté par le violoniste Christopher Otto, évoque d'une certaine manière la dualité du précédent, le ludisme en moins. Et les stridences et autres ambiances cauchemardesques de ce conte zornien peuvent être perçues avec le déchirant Kol Nidre, comme les éléments d'une seule et même pièce dramatique. Lente plainte nostalgique bercée désormais par un orchestre après le quatuor à cordes de 1999, ces huit minutes tel qu'on pouvait s'y attendre y gagnent en émotion et en profondeur.
Inspiré du dernier recueil de textes rédigé par Antonin Artaud peu avant sa mort, Suppôts et Suppliciations est la pièce maitresse et finale de Fragmentations, Prayers And Interjections. Zorn compose et tisse une toile aux multiples facettes entre douleur, révolte et mysticisme, où apparait par moment le fantôme d'un Stravinsky durant les moments les plus ombrageux et théâtraux. Composition spectaculaire en écho avec la dernière œuvre d'Artaud, le new-yorkais désarticule les structures, exacerbe une tension constante, cette dernière étant savamment entretenue par quelques déflagrations et déchirures aussi inattendues qu'explosives.